Le courant qui a tendance à progressivement s’enraciner de nos jours dans l’industrie immobilière, par la mise en place d’une maquette numérique du bâtiment (BIM), et sur lequel nous réfléchissons et discutons depuis un certain temps, s’avère déjà être un élément-clé d’un autre secteur d’activité et à une toute autre échelle, celui de la mécanique. Cela fait maintenant plus d’une vingtaine d’années que le secteur de la mécanique s’est approprié les outils complexes de la CAO, de la CFAO et de la GMAO. Toutefois cette intégration fut relativement facilitée par un facteur que l’on retrouve rarement dans le bâtiment : celui de la recherche d’un intérêt commun ayant pour objectif une rentabilité maximum pour le possesseur de la marque de l’objet mécanique. Or dans le bâtiment, nous sommes dans un tout autre contexte. 

Tout d’abord un projet est toujours unique, contrairement à l’industrie, où la série est le maître mot de la productivité. Ensuite les acteurs collaborant autour d’un projet sont de nature hétérogène, par la taille de l’entreprise, les méthodes de travail, les outils utilisés et les objectifs recherchés : l’architecte, étant souvent le maître d’œuvre, a pour mission intrinsèque d’être garant du ‘beau’ et du ‘bien’, autrement dit du désir de réaliser une œuvre qui lui permettra de se démarquer, grâce à son nom, des réalisations concurrentes. Les BET (Structure, HVAC, etc..) n’ont certainement pas les mêmes aspirations et s’orientent donc vers une approche clairement différente de l’utilisation des outils de conception de projet.

Ensuite les deux pôles que sont les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage ont des intérêts divergents. Rarement intégrés dans la même entité, ils abordent de façon différente l’approche de la maquette BIM. Les maîtres d’œuvre, utilisant les outils logiciels pour réaliser la maquette BIM, le font avant tout pour des raisons de productivité. Aujourd’hui, chez les maîtres d’œuvres, deux types d’entreprises utilisent les principes, la méthodologie et les outils numériques BIM. Soit les grands groupes car cela leur permet de faire travailler leurs équipes sur le même modèle, de l’avantprojet au DOE, et d’avoir la même base de données. Soit les tout petits, qui eux travaillent avec le modèle BIM de l’esquisse au PC, puis rebasculent sur des méthodes plus traditionnelles dans les phases post PC, avec échanges de fichiers dwg voire pdf entre les différents corps de métiers, où chacun rajoutera sa part de travail sur le document qui, in fine, sortira sous format papier… Le DOE aura alors une fiabilité « TQC » qui sera pour le moins variable ! Et jamais directement exploitable à cause de son manque de disponibilité en format numérique.

Les cabinets d’architecture s’équipent aujourd’hui en outils de conception BIM partout dans le monde. On estime à 40% les architectes qui en sont équipés, mais seulement 3% à 5% seraient des utilisateurs en mode BIM du potentiel de ces nouveaux outils. Le peu d’offre de logiciels satellites interopérables avec la maquette BIM ainsi que le manque de méthode de travail et d’acteurs formés à ces technologies expliquent la faible utilisation du BIM. 

Quels sont les freins au développement de la maquette numérique chez les architectes ?

Principalement, c’est leur méconnaissance qui est en cause. Ils ont souvent entendu parler de la maquette numérique mais elle leur a été mal présentée et incorrectement valorisée. La plupart la perçoivent plus comme une contrainte extérieure que comme un outil bénéfique pour eux. C’est parce qu’ils n’en exploitent qu’une partie, à savoir l’expression visuelle, celle du rendu 3D pour le concours ou la réponse à l’appel d’offres, qui en réalité n’est pas une maquette numérique.

Ceux qui ont déjà travaillé en mode BIM, en revanche, connaissent bien ses potentialités. Ils savent que grâce à ce nouvel outil, ils peuvent gagner du « temps de liaison » entre les bureaux d’études ou bien avec la MOA. Dans le contexte actuel où les exigences économiques et de développement durable sont de plus en plus grandes, et donc les dossiers de plus en plus complexes à monter, la maquette numérique devient d’autant plus pratique et nécessaire.

Le cruel manque d’un standard d’échanges de données entres les logiciels, ou du moins le retour d’expériences réelles mitigé sur leur véritable interopérabilité avec l’IFC, est également, à mon avis, un des facteurs déterminants du retard de la mise en place d’une maquette numérique, tout du moins, chez les maîtres d’œuvres. En effet, ne nous voilons pas la face, le standard de fait « dwg » est une propriété de l’éditeur Autodesk, et de par sa structure et l’infinie possibilité de réaliser un « dwg » d’une part, et le fait que ce soit un moteur qui contraint naturellement l’utilisateur à travailler en mode objet d’autre part, montrent qu’un échange structuré entre deux acteurs relève du cauchemar. Qui n’a pas passé des heures à vérifier les entités sur les calques, ou à rechercher les noms de blocs ou autre entité, veuille bien nous faire part de sa solution. Néanmoins, il faut relever le point que cette ouverture, voire cette infinie possibilité de coucher du trait sur un document numérique, a justement fait la force de l’éditeur pour imposer son format.

Dans ce genre de cas, le maître d’ouvrage ne demande encore que très rarement un modèle numérique de bâtiment. Nous voyons d’ailleurs toujours aujourd’hui des appels à projet, exprimant en option, une maquette « BIM », qui toutefois ne porte aucune définition sur son contenu. Cela dû au désavantage que le BIM reste un concept qui n’est absolument pas maîtrisé, et incompris par 95% des acteurs !

Or, même si le maître d’œuvre travaille sur un modèle, une idéale transmission de la bonne structure de base de données est primordiale, mais pour cela il est nécessaire d’avoir une définition claire et précise du processus, afin que le maître d’ouvrage puisse facilement retrouver et faire vivre le modèle, à travers ses outils de gestion et de maintenance.

Au regard de ces différents points, nous pouvons comprendre que la relation maître d’œuvre/maître d’ouvrage est à réinventer autour du BIM. Nous pouvons dire qu’aujourd’hui les outils logiciels existent, les suites Revit d’Autodesk, les logiciels AllPlan de Nemetschek, ArchiCAD de Graphisoft sont capables de produire de la base de données sur des objets structurés. Néanmoins le problème qui restera majeur chez le maître d’œuvre est la définition des différents objets. Les constructeurs d’équipements ne disposent toujours pas de leurs composants en mode objet intégrables par les différents logiciels. L’amélioration de la structure de description du modèle en IFC permettra certainement de faire avancer les choses. En attendant, une définition claire et précise de la nature des informations que le maître d’œuvre veut récupérer doit permettre de réaliser les objets. Le deuxième point important à analyser par le maître d’œuvre est la structure d’échange d’informations entre les différents acteurs de la conception : Architecte, BET, Infrastructure, etc… Comment travailler sur un modèle unique, si nous ne sommes pas sur un même lieu de travail (donc posant la problématique de l’échange et de la mise à jour des données à travers le WAN) qui puisse héberger et garantir que les données soient justes et cohérentes ? Il apparaît nécessaire que chez le maître d’œuvre, un individu réfléchisse dès la prise en charge du projet, à qui fait quoi et comment, premièrement, en analysant les outils et méthodes de travail des différents acteurs, et deuxièmement, en garantissant des procédures d’échanges claires et précises pour tous. Cet homme est le BIM Manager. Il peut être auprès du maître d’œuvre, voire du maître d’ouvrage. Cette deuxième option simplifie également deux points, le premier, délicat, de la prise en charge financière de cette mission, le second, la définition du modèle BIM que veut récupérer le maître d’ouvrage. N’oublions pas que la majeure partie du coût d’un projet immobilier est aujourd’hui dans sa maintenance et son exploitation, et que toutes les études le confirmeront : l’exploitation d’une donnée structurée informatique coûte bien moins cher que la donnée papier.

Au vu de ces éléments, la relation maîtrise d’œuvre / maîtrise d’ouvrage passe par un homme, le BIM Manager, qui organisera et structurera la base de données. Ayant des connaissances à la fois en métier du bâtiment et en informatique, il sera à même de garantir la meilleure collaboration possible entre les différents acteurs et de s’assurer que la maîtrise d’ouvrage possède bien les informations structurées. En appartenant à la maîtrise d’ouvrage, il permettra une simplification de la prise en charge de son coût, qui aujourd’hui est absent des définitions de mission.